L’immunothérapie, qui vise à aider le système immunitaire d’un patient à lutter contre une maladie, a radicalement modifié le combat contre le cancer, offrant des options thérapeutiques inédites. Mais, les coûts élevés de ces traitements innovants posent la question de l’accès à l’innovation.

Devenue une arme clé contre divers cancers, l’immunothérapie favorise des rémissions longues, voire des guérisons pour des cas jusqu’alors incurables. Les avancées retentissantes contre les cancers du poumon et de la vessie, présentées au congrès annuel de la Société européenne d’oncologie médicale, en octobre 2023 à Barcelone, renforcent les preuves que l’immunothérapie est devenue incontournable. Cependant, chaque nouvelle annonce apporte son lot de défis en matière de coût et d’accès, notamment en France. Certains traitements dépassent les 20 000 euros par mois. Lors d’une conférence de presse en juillet 2023, la Société française d’immunothérapie du cancer (FITC) a déploré que les patients français ne bénéficient des nouvelles immunothérapies que 12 mois après ceux des États-Unis, par exemple. En cause, selon la FITC, une rigidité du circuit d’évaluation de ces innovations.

Un système d’évaluation inadapté ?

Sans surprise, l’appréciation diffère du côté de la Haute autorité de santé qui met en avant la réussite du dispositif d’autorisation d’accès précoce (AAP) instauré en juillet 2021. Le 23 octobre 2023, l’autorité publique indépendante se félicitait, à raison, que 100 000 patients en impasse thérapeutique avaient déjà pu en bénéficier. Pour autant, "dans certains cas d’AAP, le manque de données concernant le progrès thérapeutique implique une évaluation de l’amélioration du service rendu au niveau 5, à savoir, l’inexistence d’un progrès thérapeutique", peut-on lire dans un résumé de la 15e Convention on health analysis and management, les 28 et 29 septembre derniers. À la sortie de cet accès dérogatoire, certaines spécialités se trouvent privées d’un mode de financement adapté, ce qui provoque des difficultés d’accès pour les patients, indique une note du cabinet GD Avocats. Les dispositions inscrites dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, adopté par l’Assemblée nationale le 4 décembre 2023, pour améliorer cet accès suffiront-elles ? Lors des 16e Rencontres de la cancérologie française (RCFR) qui se sont tenues les 21 et 22 novembre 2023, Aurélie Andrieux-Bonneau, directrice des politiques de santé, des affaires publiques et de la communication, au sein des laboratoires MSD, s’est montrée plutôt circonspecte : "La réponse apportée dans le PLFSS 2024 est parcellaire."

Une nouvelle voie d’accès à tracer

Pour Jean-Jacques Zambrowski, professeur de politique et d’économie de la santé à l’université Paris-Saclay, également présent aux RCFR, le temps est peut-être venu de renverser la table, pointant du doigt un système anachronique de la Sécurité sociale, dans un cadre défini voilà 60 ans et aujourd’hui périmé. Il est de ceux qui en appellent à "faire évoluer les mécanismes actuels d’évaluation, de fixation des prix et de remboursement des produits de santé (… )" Et de préciser sa pensée : "Il convient de faire une évaluation globale notamment du coût-efficacité de l’ensemble d’un traitement en comparant chimiothérapies et immunothérapies", a-t-il fait savoir, ajoutant que "si ces dernières introduisent de nouveaux coûts pour le système de santé, elles créent simultanément des économies avec moins d’hospitalisations, des retours plus nombreux de patients au travail, un allongement de leur durée de vie." Un positionnement aligné avec une des recommandations de l’Académie de médecine dans son rapport du 10 octobre 2023 Médicaments anti-cancéreux onéreux : disponibilité et soutenabilité économique. Les sages plaident pour le développement du nombre d’études médico-économiques de qualité à l’appui de dossiers d’efficience, et fondées sur des études de cohortes en vie réelle. Qui trouvera le bon curseur ? Seule certitude, "les immunothérapies bousculent le système actuel de fixation du prix des médicaments", renchérit Jean-Jacques Zambrowski.

Pierre Derrouch